De nombreuses sociétés sont spécialisées dans le rachat de créances détenues par d’autres organismes.
Une fois les cessions de créances réalisées à leur profit, ces sociétés de recouvrement mandatent des huissiers afin de pratiquer, le plus souvent, des saisies attribution sur les comptes bancaires des débiteurs.
Si plusieurs moyens peuvent être soulevés devant le juge de l’exécution suite à la contestation de cette mesure d’exécution, il n’en demeure pas moins que les magistrats ont le pouvoir de soulever d’office certains moyens qualifiés « d’ordre public ».
Il est cependant rare que les magistrats utilisent un tel pouvoir, à l’exception des magistrats de la Cour d’appel d’Amiens qui, dans une décision rendue le 14 septembre 2021 (n°20/05277) n’ont pas hésité à soulever pas un mais deux moyens d’office.
Dans les faits, une société de recouvrement avait acheté une créance ayant un titre exécutoire daté de 2010.
Fin 2019, le débiteur de cette créance s’était vue notifier la dénonciation d’une saisie-attribution ainsi que la notification de la cession de créance qui était intervenue en 2017.
Le débiteur a saisi le Juge de l’exécution afin d’obtenir la nullité de la saisie-attribution pratiquée sur son compte-bancaire.
Les premiers juges ont fait droit à cette demande considérant que la preuve de la cession de créance n’était pas apportée.
La société de recouvrement a fait appel de cette décision.
En appel, les magistrats de la Cour d’appel ont soulevé deux moyens d’office :
- La cession spéculative de contrats de crédits à la consommation aux fins de recouvrement forcé contre des débiteurs défaillants doit-elle être considérée comme une pratique commerciale déloyale, au sens du Droit de la consommation ?
- La reprise du recouvrement forcé de contrats de crédits à la consommation plusieurs années après l’interruption des poursuites par le créancier initial, par le cessionnaire ayant acquis le titre dans le cadre d’une cession spéculative de crédits à la consommation est-elle susceptible en l’espèce d’être qualifiée d’abusive au sens de l’abus de droit sanctionné sur le fondement de l’article 1240 du code civil et de l’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution ?
En réponse à la première question, la Cour d’appel a ainsi retenu, à l’instar de la Cour de justice de l’Union Européenne (arrêt du 20 juillet 2017 – Gelvora UAB, Jurisdata n°2017-016816), que « la cession spéculative de contrats de crédits à la consommation aux fins de recouvrement forcé contre des débiteurs défaillants doit être considérée comme une pratique commerciale déloyale prohibée au sens de la Directive 2005/29/CE même en dehors de toute relation contractuelle entre le cessionnaire et le consommateur et même si la cession a porté sur un titre exécutoire ».
La Cour d’appel a donc décidé d’appliquer le droit de la consommation malgré l’absence de lien contractuel entre le débiteur et le créancier.
En réponse à la seconde question, la Cour a considéré que l’abus de droit était constitué par le fait d’utiliser des dispositions légales dans le but de réaliser un bénéfice pour un fonds dévoué à la spéculation et non pas d’obtenir le paiement d’une dette.
Des dommages et intérêts sont également alloués au débiteur en considération du caractère « violent » pour une personne modeste du blocage de son compte bancaire.
À n’en pas douter, la Cour de cassation aura prochainement à statuer sur la question.
Affaire à suivre…
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Cet article a été publié le 24 février 2022 et ne préjuge pas des modifications juridiques pouvant advenir.